Ép. 37 : From Computer With Love <3
Rencontre virtuelle avec Rebecca de Dautzenberg press qui publie aujourd’hui sa 3éme compilation cassette de voix et chant synthétique…
Bonne écoute!
Salut Rebecca !
C’est donc toi qui publie les mixtapes « From Computer With Love <3 »,qui sont des compilations de chansons et autres pièces sonores pour voix de machines…
On y retrouve des grand classiques de la pop revisités, de Françoise Hardy au Pixies, et aussi de la culture geek, de Laurie Anderson à DECtalk, autant que d’obscures pièces de MAO.
Les voix étranges aiment beaucoup tes compils qui sont très fouillés quasi intracables. Et on est ravi de t’acceuillir dans cette émission !!!
1/ Est-ce que tu te souviens de ta rencontre avec les voix de synthèses ? La première voix ?
Je pense que ma première rencontre avec une voix de synthèse chantante, ça devait être dans le jeu vidéo Zelda Ocarina Of Time, Quand j’étais petite, à la fin des années 90. Certains des morceaux de la bande originale de Kôji Kondô sont chantés par des voix synthétiques. J’en ai intégré un dans le volume 2 de la compile d’ailleurs, LonLon Ranch. J’adore les jeux vidéos, surtout les mondes ouverts et les simulations en tout genre. Je trouve qu’il y a un lien assez évident entre les voix synthétiques et les mondes virtuels, dans les émotions que ça provoque au moment où on décide de se projeter dans le simulacre, et de l’investir de la même manière que le monde physique.
Plus récemment, en 2015 ou 2016, un ami m’a fait découvrir 386 DX, le projet d’IBM chantant de l’artiste russe Alexei Shulgin, avec une reprise du morceau I Shot The Sheriff. C’est vraiment génial, à la limite entre le familier et l’étrange, et le côté imitation foireuse est très émouvant. En fait, quand ces voix parlent, elles me touchent beaucoup moins, mais quand elles se mettent à chanter, ça devient pathétique et beau, ça décale tout. C’est à partir de là que j’ai commencé à creuser du côté des voix de synthèse chantantes. C’est marrant, parce que quand j’ai fait écouter le morceau de 386 DX à mon père, il n’a absolument pas capté qu’il y avait un truc bizarre avec la voix, il pensait que c’était un humain qui chantait. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire autour de cette frontière empathique, et de la manière dont on peut investir émotionnellement n’importe quel objet qui nous ressemble, finalement.
2/ Étant collectionneur moi aussi j’aimerai comprendre : est-ce que tu as commencé soudainement ce projet de publication, ou bien cela est venu après une période de collectionnite plus ou moins longue de ces chansons ? et du coup çà commence plus par le coté cover pop ? Ou bien le coté video game nerd ? Ou bien ?
A partir de 386 DX, j’ai commencé à fouiner sur internet, et je me suis rendue compte qu’il y avait des milliards de choses, et à 99% des morceaux amateurs sur youtube. J’ai commencé en basant mes recherches sur des machines un peu old school, comme le DECTalk ou les vieux ordis. A ce moment là, je ne connaissais même pas l’existence de cette énorme mode du vocaloid nightcore, alors que maintenant c’est vraiment un espèce de phénomène de société, Hatsune Miku, le vocaloid de Yamaha, a rempli le Zenith en 2020. Et donc, je me suis rendue compte qu’il y’avait des tonnes de chansons géniales, dans une dynamique très lo-fi, mais que tout ça reposait sur des sables mouvants. J’ai trouvé la plupart des morceaux sur des chaines youtube avec 14 abonnés, autant dire que si la personne le retirait de sa chaine, le morceau serait perdu à tout jamais. C’est peut-être cette envie de stabiliser et archiver durablement ces morceaux qui m’a poussée à faire la première compile. Depuis le début, j’ai aussi voulu proposer un espèce d’historique de la synthèse vocale, et j’ai toujours essayé de mélanger des trucs plus anciens, pionniers, à des trucs très récents. Globalement les compiles partent de la fin des années 30 avec le Voder, et vont jusqu’aux logiciels récents, genre Hatsune Miku et ses amis. Je serais peut-être allée beauuuucoup plus vite dans mes recherches si j’avais entendu parler de ton émission à l’époque d’ailleurs. Comme je n’y connaissais rien, j’avais l’impression que personne ne parlait de ces musiques, et que ces compiles étaient aussi nécessaires pour ça. Pour le côté « cover pop », ça vient du fait que la plupart des morceaux que je trouvais surinternet étaient des reprises, au départ je trouvais assez peu de créations originales avec voix synthétiques, à part pour les trucs de nightcore, mais c’est assez dur à écouter en général. J’ai beaucoup utilisé la langue japonaise pour faire mes recherches, il y a une énorme culture de la voix synthétique au Japon d’après ce que j’ai compris, et un nombre de productions amateures hallucinant.
D’ailleurs c’est un peu le concept des concerts de Hatsune Miku je crois : l’hologramme, avec sa voix synthétique, chante aussi des morceaux produits par ses fans, comme une espèce de coquille vide qu’on peut remplir avec ce qu’on veut. J’aime beaucoup cette idée. L’animisme shintoïste au Japon est un terrain très propice au brouillage des frontières humain/machine, vivant/fictionnel, et c’est aussi valable pour les voix synthétiques j’ai l’impression. Il y a un japonais qui s’est marié avec Hatsune Miku récemment, et aux gens qui étaient jaloux et le lui reprochait, il a répondu que tout le monde avait le droit de se marier avec elle si il le voulait. Ce cheptel de personnages créés par Yamaha, pour le logiciel Vocaloid, c’était d’abord des voix, mais aujourd’hui ils ont tous leur personnalité et leur mythologie propre. Les gens les aiment et se les approprient, comme des dieux ou des esprits, presque.
3/ tu es aussi musicienne, les ordinateurs sont-ils une source d’inspiration pour tes projets ?
Pour la voix, oui. On n’utilise pas de voix synthétique à proprement parler, mais j’ai l’impression que l’usage du vocodeur a libéré quelque chose dans le duo que j’ai avec ma soeur. Le vocodeur est réellement devenu la voix du groupe, et on peut indifféremment chanter, Fiona ou moi, c’est toujours le vocodeur qui chante. Ca créé un espèce de personnage qui permet de fictionnaliser les morceaux. On utilise aussi l’auto-tune, mais alors on est beaucoup plus près de quelque chose d’humain, c’est plus intime quoi.
4/ Stephen Hawking qui était une icône des voix de synthèse était trèsattaché au coté vintage de sa voix, et n’ a jamais souhaité adopter une voix plus « moderne », que penses tu des nouvelles voix qui ne sonnent plus trop comme ces « voices » que nous donne à entendre tes cassettes ?
Je n’ai pas l’impression que les compiles jouent sur la corde nostalgique. Justement, j’aime bien explorer toute la palette des possibilités techniques, des synthèses plus anciennes, directement identifiables comme factices, aux voix plus récentes, parfois inquiétantes de vraisemblance. Dans une des compiles, il y a un morceau auquel je tiens beaucoup, c’est une reprise de Françoise Hardy par un vocaloid paramétré en japonais, qui a un gros accent, et qui respire entre chaque phrase. C’est assez incroyable comme expérience d’écoute. Pour la première compile, j’ai copié les 40 exemplaires chez moi, donc j’ai écouté cette chansons quarante fois de suite, et à la fin je ne comprenais plus rien, je me disais que c’était impossible que ce soit une voix synthétique, ça sonnait trop vrai.
Alors que c’est assez mal fait d’ailleurs. La plupart des synthèses sont encore assez loin de pouvoir tromper un humain je trouve, en tout cas, pour l’instant, je n’ai pas entendu de voix de synthèse qui passerait le test de Turing de l’audition humaine. Sauf peut-être en fouinant du côté de l’IRCAM, mais les protocoles ont l’air de mélanger plusieurs méthodes, je ne suis pas sûre qu’on puisse parler de pure synthèse vocale au sens où on l’entend ici. A vérifier!
5/ « From computer with love » est une manière de garder le flambeau allumé d’une époque révolue ou les ordinateurs étaient beaucoup moins envahissants qu’aujourd’hui, ils étaient nos amis, ils étaient
cool, on les aimaient bien, et leur musique simpliste aussi…
Est-que tu penses aux futures IA en préparant tes playlistes ? Je veux dire comme une manière de les éduquer de leur rappeller ce qu’ielles ont été nos amis ?
C’est certain qu’il y a quelque chose qui a disparu, une certaine innocence des machines du siècle passé, l’excitation liée à ces machines, ou une appréhension plus directe de ces objets. Pareil avec internet d’ailleurs, ou avec les jeux vidéos. Mais je ne trouve pas lesIA en elle-mêmes spécialement inquiétantes. Pour l’instant je les trouve plutôt à côté de la plaque, et j’aime bien le décalage que ça peut produire. Les ordinateurs peuvent rester nos amis si on décide qu’ils doivent le rester. La question de l’usage restreint, verrouillé et contrôlé des machines et des données qu’elles produisent est une autre question, c’est plus inquiétant pour le coup.
6/ tu publie aujourd’hui un 3ème opus cassette et on sens un virage, t’es passé en mode expert, on est plutôt dans une ambiance intimiste de labo de recherche, moins de pop et plus de pièces expérimentales,
très tokioite aussi c’est ta propre exploration qui évolue? Faut-il y voir un message ?
Oui, je crois qu’après le deuxième volume on avait un peu fait le tour du côté « cover pop » justement, et j’avais envie d’aller vers des choses un peu plus spécifiques. Une fois passé l’engouement situé autour du bizarre de la voix elle-même, j’avais envie de chercher des morceaux composés avec et pour des voix synthétiques. Il y a moins
de morceaux, mais il y a des choses plus longues aussi. Un collègue mélomane m’a fait découvrir un super fanzine audio des années 80, TELLUS, commissionné à tour de rôle par des artistes de la scène expérimentale new-yorkaise de l’époque. L’un des numéros, TELLUS #22 : False Phonemes, se concentre sur la synthèse vocale. J’ai repris deux des morceaux de ce numéro, sorti en 1988, dans la nouvelle cassette : un extrait de la relecture des « Impressions d’Afrique » de Raymond Roussel, par Remko Scha et Ellen Zweig, et une longue pièce genre chorale de synthèse, par Paul Lansky et Hannah McKay. Sinon il y a aussi des mini-documents de l’IRCAM, genre des
recherches sur l’attaque de la glotte à différentes vitesses ; des pièces parlées, plus proches de la poésie sonore ; et aussi quand même des trucs japonais, parce que j’aime bien ça. Pour la partie chansons récentes, c’est plus ambiance soundcloud qu’ambiance youtube. Pour la pochette de la cassette, il s’agit d’une photo d’une présentation
publique d’un Vocaloid de chez Yamaha, qui avait conçu un robot ginoïde pour l’occasion. Elle a l’air sage et triste devant son micro, je trouve que c’est une belle image.
TRACKLIST
Introducing the Voder — Homer Dudley / 1939
White Christmas – DEC Talk / 2015
Where is my mind? (The Pixies) — Mr Hopkinson’s Computer / 2006
30 minutes (t.A.T.u) — riwxify / 2016
Speak and Spell, Texas Instruments Inc. / 1978
LonLon ranch — 近藤浩治 Kōji Kondō / 1998
Moi Lolita (Alizée) — Kīshi / 2014
Work — Ruby ft. Melobytes / 2016
Two faced lovers — OrangeJuice1 / 2014
Tout les garçons et les filles — by8ibo / 2013
Daisy Bell — IBM 7094 / 1961
Attaque de la glotte – IRCAM
Attaque de la glotte rapide – IRCAM
Attaque de la glotte tres rapide – IRCAM
Katadeedo Daynatadoh (excerpt of Impressions of Africa, after R. Roussel) – Ellen Zweig & Remko Scha / 1987
春夏秋冬 – きゃめら / 2012
ゴーチェ子午環室 – Yuto Ohashi / 2019
areyougoingtocry – JessicaMayne / 2019
虫 – 感じるフィール / 2020
ふたりの影法師 – Charlie Zhang / 2011
Qui ? (acte bonté cover) – Jambe2feu / 2020
Story – JessicaMayne / 2019
Lady (mojo cover) – MadKingDesu / 2014
abagofbipsandabagofbops – JessicaMayne / 2019
Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen (excerpt of Die Zauberflöte, WA Mozart) – IRCAM research chant program, Yves Potard and Xavier Rodet / 1984
愛し合いたい時もある – 感じるフィール / 2020
Not Just More Idle Chatter – Paul Lansky & Hannah MacKay / 1988